A nos chers amis à l’occasion des fêtes pascales 2012

Traduction de l’arabe

La fête de Pâques revient après une année de souffrances indescriptibles, imprévisibles et inimaginables pour la majorité d’entre nous. Malheureusement, ce que nous avions écrit à la même occasion il y a un an s’applique encore à la situation actuelle de notre malheureux pays. Nous avions alors exprimé notre solidarité avec les victimes du conflit et notre participation à l’attente de ceux qui espéraient une profonde réforme de la Syrie sans tomber dans la logique de la violence, et nous craignions l’explosion d’une guerre civile et la perte de l’unité nationale. Le malheur nous a atteint et nous craignons le pire.

Le printemps est revenu, et le Miséricordieux nous fait la grâce de rester témoins de la vocation de chaque Syrien, de son destin divin de vivre en bon voisinage dans la concorde spirituelle, l’estime religieuse réciproque, la participation à une même civilisation, la solidarité sociale et l’unité dans les bons et mauvais jours. Naturellement, nous vivons comme tous dans l’angoisse, unis que nous sommes avec nos familles sinistrées, et nous partageons la déception d’un grand nombre de personnes, en particulier de nos jeunes si généreux. Nous invoquons la miséricorde sur les tués, éprouvant une profonde désolation devant l’humanité de nos concitoyens, défigurée de tant de manières par des mains qui n’ont pas eu honte de se salir en versant le sang de leurs frères et de leurs sœurs, et même des enfants.

À l’occasion de cette fête, nous ressentons la tentation de nous réfugier dans la célébration religieuse et ses profondes significations dogmatiques, nous échappant par la fenêtre des symboles pour fuir cette maison démolie et planer dans les espaces consolants de l’imagination.

Si seulement Jésus Christ, fils de Marie, n’avait pas marché sur le sol de notre patrie… nous aurions pu rêver d’un salut nous venant d’un pays lointain ! Si seulement son traître n’avait pas été un homme né sur la terre des prophètes, assoiffée dans l’attente de la venue de son Messie… nous aurions réussi plus facilement à faire porter l’entière responsabilité aux étrangers et aux lointains ! Si seulement ceux qui avaient comploté son homicide n’avaient pas été les prêtres du Temple de Salomon dans la noble Jérusalem, al-Quds, avec l’oppresseur – le colonisateur romain – et le roi à sa solde, Hérode… nous aurions pu justifier nos propres prélats, cheikhs et notables ! Si seulement ses disciples ne l’avaient pas laissé seul par peur de la foule réclamant sa crucifixion ! Cette foule, détournée du droit chemin par ceux qui auraient dû la guider pour qu’elle reconnaisse la vérité, s’engage en faveur de la justice, et offre un culte qui ne trouve son accomplissement que dans la miséricorde. Oui, quelques-uns des plus proches l’ont accompagné jusqu’au dernier instant, lorsqu’il fut accroché au bois hors des portes de Jérusalem, et que fut inscrit sur la croix « Jésus de Nazareth, roi des Juifs » en trois langues, pour que tous comprennent.

Il est vrai que sa mère est restée avec lui jusqu’à la fin, le recevant sur ses genoux, défiguré par la plus horrible des tortures.

Où fuir, alors que nous célébrons en cette fête la même scène qui chaque jour porte atteinte à l’innocence de nos enfants : violence laide et ignorante, dont les images sont utilisées dans les médias pour attiser le conflit.

Il y a quelques jours, le peuple palestinien a commémoré le « Jour de la Terre », terre injustement perdue. Tandis que la fête qu’a célébrée Jésus par le sacrifice de soi-même était à l’origine la fête du passage du peuple de Moïse des champs de l’esclavage à une terre consacrée à vivre devant Dieu dans un culte fait d’engagement pour la justice et l’équité. La Pâque signifie l’attente du jour où tout le peuple parviendrait au salut à travers la connaissance du Miséricordieux, jour où, tel que le chante le roi David dans le psaume, l’on dira de la Ville Sainte qu’ « en elle tout homme est né » (Ps 87). Nous espérons voir tous les gens de cette région, oppresseurs ou oppressés, réunis par la paternité du Compatissant en un seul peuple, jouissant des biens de la terre dans le pluralisme d’une entente fraternelle.

D’aucuns ont été jusqu’à dire que ses propres disciples avaient volé son corps par malice, et jusqu’à ce jour, bien de chrétiens et de non-chrétiens ont du mal à accepter que le Messie de Dieu a pu être défiguré et exécuté. Pourtant, des personnes pieuses voient aujourd’hui encore le Sauveur dans tous ceux qui, dans un élan d’amour et non de haine, se sacrifient jusqu’à ne plus avoir face humaine.

Dans nos appels à la réconciliation de fils et de filles de Dieu, nous faisons l’expérience du Christ vivant, ressuscité d’entre les morts en nous, pardonnant nos péchés, efficacement présent, à travers notre intercession et la vôtre aussi, dans ce monde de pauvres gens que nous constituons.

Notre peuple est divisé. Ses enfants se combattent les uns les autres, et il n’est guère facile de parvenir à une harmonie des opinions, fut-ce au sein de la communauté monastique. Nous remercions chaleureusement tous ceux qui ont participé aux souffrances de notre peuple et ont exprimé leur solidarité avec notre soutien de la réforme. Nous espérons qu’une fois la crise dépassée, nous nous en souviendrons comme d’une occasion qui nous aura permis de découvrir le sentier de l’acceptation de l’autre, du respect de sa conscience au-delà de nos différences, au monastère, en famille, au sein de la nation et plus loin encore.

Nous remercions tous ceux qui ont rassemblé des Syriens dans des laboratoires de dialogue dans différents lieux à l’étranger, afin qu’ils nous envoient des messages d’espérance sur les moyens de se comprendre mutuellement et de guérir les cœurs blessés.

Nous remercions également tous ceux qui nous sont venus en aide financièrement (nous sommes sincèrement désolés de n’avoir pas toujours réussi à vous exprimer personnellement notre reconnaissance, et nous vous prions de nous en informer car les moyens de communication n’ont pas toujours bien fonctionné).

Le monastère s’est quasiment vidé de ses visiteurs et des touristes depuis un an. Cependant, ces jours-ci, nous avons la joie d’accueillir bien des familles locales venues pour le pique-nique du vendredi, exprimant ainsi leur désir de paix.

Nous avons spontanément considéré qu’il était de notre devoir de rester au monastère malgré les contingences, et nous avons choisi de le faire. Après un hiver particulièrement froid, nous célébrons la résurrection parmi les fleurs d’un timide printemps. Mettant notre confiance en Dieu, nous nous engageons à assurer une présence à Deir Mar Moussa, dans la région relativement sûre de Nebek qui accueille une partie des réfugiés venant des villes où sévit le conflit armé, de même qu’à Deir Mar Elian à Qaryatayn.

Tout au long de l’année, nous avons poursuivi la réalisation de nos projets d’étude, d’édition et de développement. Rares sont ceux qui ont pu venir au monastère, mais plus que jamais nous avons pu toucher à quel point le complexe symbolique du monastère a un impact sur la société syrienne, dans la région et de par le monde. Beaucoup considèrent le monastère comme un modèle reconnu au service de la paix civile et de la fraternité entre les croyants, fils d’Abraham, ce qui nous pousse à donner toujours davantage.

Du fond du cœur, où que vous soyez, nous vous souhaitons de vous réjouir de la splendeur de la lumière de ce tombeau vide.

La Communauté al-Khalil

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