AGRESSION AU MONASTبRE DE MAR MOUSSA

La Vie 1 Mars 2012

MONDE
SYRIE Plus de peur que de mal. La violente irruption d'un mystérieux commando a
cependant ébranlé cette communauté oecuménique, déchirée par la situation du pays.
AGRESSION AU MONASTبRE
DE MAR MOUSSA
Il Le monastère de Mar Moussa,
haut lieu du dialogue islamochrétien
en Syrie, a été attaqué par
une trentaine d'hommes armés,
mercredi 22 février. Alors que la
communauté monastique était réunie
pour la méditation, le groupe
a surgi dans l'église après avoir
séquestré quatre soeurs dans une
pièce, démoli le matériel de la bergerie
et traité violemment les autres
personnes se trouvant dans le monastère.
Ils ont également détruit la
majeure partie des moyens de communication
tout en prenant des pho~
tos. ہ la recherche d'armes et d'argent,
ils ont finalement quitté les
lieux en permettant que la prière se
poursuive et sans faire de blessés. Le
père Paolo Dall'Oglio, supérieur de
la communauté, joint par téléphone,
Le monastère de Mar Moussa se dresse en plein désert à 90 km au nord de Damas.
Ce haut lieu du dialogue islamochrétien
en Syrie reflète aussi les
divisions et dissensions nationales
dit son soulagement: u C'est presque
un miracle qu'il n'y ait pas eu de victimes
et que les choses en soient restées
là. 11 En déplacement à Damas
lors de cette attaque, il se réjouit de
la réaction des membres de la communauté
présents qui ont accueilli
ces intrus avec le même sens de
l'hospitalité dont ils font preuve tout
au long de l'année envers les visiteurs
qui viennent séjourner au
monastère. Cependant la peur, surmontée
au moment de l'agression,
est à présent tenace ... et sans doute
laissera-t-elle des traces.
L'identité des hommes armés, au
visage couvert, est difficile à déterminer,
tout comme la raison pour laquelle
ils pensaient trouver des armes dans
un lieu qui depuis trente ans oeuvre
au service du dialogue et de la nonviolence.
Il est probable que le
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monastère ait été désigné comme
abritant ce genre de matériel. Reste
à savoir par qui.
Le père Paolo avoue que la communauté,
mixte et oecuménique, se déchire
elle aussi, à l'image du pays, sur la
lecture des événements qui ensanglantent
le pays depuis près d'un an
et l'attitude à adopter, entre un désir
réaliste de protection et celui du
devoir à accomplir. La question n'est
pas ici de savoir, comme pour d'autres
communautés_ dans des contextes
difficiles, s'il faut rester ou partir,
car dans tous les cas, ils resteront (la
communauté est pour plus de moitié
d'origine syrienne). Bien plus tragiquement
peut-être, à Mar Moussa se
font jour des différences de point de
vue, d'options politiques, de visions
idéologiques sur l'avenir de la Syrie,
ou tout simplement sur sa survie
actuelle. Et la réconciliation que la
communauté appelle de ses voeux,
par des communiqués publics ou
en observant huit jours de jeûne l'hiver
dernier notamment, peine à se
vivre au sein du monastère. Même si
depuis cette attaque, la communauté
semble avoir retrouvé une sorte de
consensus.
Composée de moines et de moniales
d'origines et de traditions différentes,
elle reflète les divisions et dissensions
nationales, qui ne sauraient se
réduire à une appartenance religieuse
ou communautaire. Si, en
effet, comme le mentionnait le père
Paolo récemment, la majorité des
chrétiens se range du côté du pouvoir
actuel par peur de voir une république
islamiste sunnite s'installer, il en
est d'autres qui pensent qu'un changement
de gouvernement laisserait
la place à un plus grand espace démocratique,
ou encore que ce gouvernement
a en lui les ressources pour
évoluer. Mais on ne peut, selon le
supérieur de la communauté, en
aucun cas réduire les uns ou les
autres à des positions pro ou antidémocratiques.
Comme il aime à le
répéter, a la réalité est complexe n !
Et le silence que l'on reproche parfois
aux responsables chrétiens de
Syrie se retrouve aussi, selon lui, à
l'échelle du pays dans une population
qui ne sait pas ou ne peut pas
prendre partie, car elle est soucieuse
d'abord de l'unité nationale, au-delà
de toute appartenance, même si celle-
ci semble désormais bien fragile
et meurtrie.
Pour Joseph Yacoub, professeur
honoraire de l'université catholique
de Lyon, spécialiste des chrétiens
cr'ûrümf et cfes minorités, auteur de
Fièvre démocratique et ferveur fondamentaliste
(Cerf, 2008), il est difficile
de savoir ce que pensent exactement
les chrétiens syriens, mais il faut se
garder de généraliser. a Même si une
partie de la hiérarchie del 'ةglise continue
à soutenir le pouvoir en place, les
chrétiens sont nombreux en réalité
à militer pour la démocratie. JJ Selon
ce Syrien de tradition chaldéenne,
ses coreligionnaires doivent désormais
dépasser leurs inquiétudes.
PONT DE PRIبRE
DEPUIS lA FRANCE
• Installée depuis trente ans en Syrie,
la communauté de Deir Mar Moussa
oeuvre pour le dialogue islamo-chrétien
aux niveaux national et international.
Elle se consacre également
à l'hospitalité et au travail manuel.
Déjà présente à Rome et en Irak,
la communauté pourrait s'implanter
en partie en France. Parallèlement,
un groupe de Français a souhaité
s'unir, symboliquement dans
un premier temps, pour continuer
à porter la communauté et ce peuple
qui leur sont chers, en un pont
de prière, ou de pensée, quotidien,
"qui n'est pas seulement une "prière
pour", mais une "prière avec"
la communauté de Deir Mar Moussa "•
comme l'explique Valérie Clerc,
une des personnes à l'origine de ce
projet. Le groupe de prière pourrait,
à terme, se transformer en
association et aider la communauté
à trouver un lieu adéquat. •
Plus d'informations sur
www.deirmarmusa.org/fr/node/343
a La démocratie ne devrait pas faire
peur aux chrétiens, ils s'intégreraient
mieux dans le tissu national, et pourraient
avoir une citoyenneté réelle.
C'est une fausse idée de dire que ce
régime soutient les chrétiens! La
liberté de culte, c'est quand même le
minimum! Le pouvoir instrumentalise
les minorités contre la majorité. JJ
Menacé d'expulsion en novembre
dernier, le père Paolo, d'origine italienne,
a pu rester en Syrie à condition
de ne plus exprimer d'opinions
politiques. Mais aussi grâce au soutien
fort de la population par les
réseaux sociaux comme lors de manifestations.
On a pu ainsi voir circuler
des photos montrant des femmes voilées
brandissant une pancarte a Non
à l'expulsion du père Paolo 11. L'attaque
du monastère, anecdotique sans
doute au vu du massacre à huis clos
qui se joue à Homs, à 80 km de là,
vient confirmer, s'il en était besoin,
qu'il n'existe plus de lieu de paix en
Syrie. Mais enjoint également les
chrétiens à prendre plus fermement
position afin de s'inscrire, eux aussi,
dans un processus de changement
qui semble désormais inéluctable. •
ةGLANTINE GABAIX-HIALة

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