Lettre aux Amis de Deir Mar Musa 2006


Mar Musa al-Habashi

Les nouvelles de Deir Mar Moussa


Chers Amis, Chères Familles,

Nous voilà à la fin de l’année 2006… C'est le moment d'écrire cette lettre désormais traditionnelle. Le cadeau de Noël, ce sont des textes que vous trouverez sur notre site (www.deirmarmusa.org) dans une dizaine de jours. Nathalie (nous vous la présenterons plus tard) a décodé quelques manuscrits du Père Paolo qui étaient restés de côté… entre autres, la Lettre aux Amis 2003 que vous n'avez jamais reçue, et une version inédite de celle de 2004. Le cadeau n'est pas tellement amusant car les questions traitées sont graves, mais c’est avec beaucoup d’affection que nous partageons avec vous nos préoccupations et nos engagements.

Incarnation

Ces derniers jours, durant la catéchèse monastique du matin, nous avons réfléchi à l'Incarnation. Il y a là trois actes divins :

Le premier, c'est de faire un enfant à Marie sans papa, comme au premier jour de la Création, quand l'Esprit planait sur les eaux, et aussi comme au sixième, quand Dieu façonna l'argile à son image.

Le deuxième acte, c’est celui qui se répète pour chaque fille et chaque garçon au moment de leur conception dans le sein de leur mère… Cet acte divin arrive le plus souvent en relation avec la fête suprême de l'amour humain. C'est quand Dieu "crée" dans la personne, par le souffle de son Esprit, ce désir, cette capacité, cette nostalgie éternelle d'union à la vie divine. Cette création, c’est ce qu'on appelle normalement "l'âme immortelle", ou bien ici en Orient, "l'esprit de la personne humaine", bien plus mystérieux et élevé que son âme rationnelle. Il est bon de répéter que, selon la foi chrétienne, cela ne se fait pas de génération en génération de façon automatique. C'est Dieu directement et intentionnellement au rendez-vous, pour créer en chacun de nos enfants "l'organe" capable de l'acte de la foi.

Enfin, le troisième acte divin : cet enfant humain, complètement humain, uni radicalement et définitivement au geste divin personnel d'exprimer humainement, pour les humains, en leur faveur, la volonté de Dieu de se montrer à nous, de s'adresser à nous, de venir, d'habiter parmi nous pour faire de nous sa famille. C'est là qu'enfin, dans "l'événement" de cet enfant divin, nous gagnons gratuitement notre statut d'adultes, notre ressemblance divine, notre autonomie radicale, notre différence d'un monde trop ou trop peu divin... Pour nous mettre en chemin, par la foi en lui, l’homme de Nazareth, vers le sein du Père.

La saison et la terre

On est en hiver. On a eu de bonnes pluies au début de l'automne, maintenant c'est le "grand sec". L'orge qu'on a semée un peu partout pour notre troupeau grandissant risque d'être brûlée par le gel. Autour de nous, les bergers sont angoissés. Rima, une amie, fait un doctorat dans le domaine de la végétation de nos pâturages, mais de là à rationaliser une activité complètement chambardée par la désertification, il en faut des doctorats ! La couverture végétale est détruite par une permanence excessive des troupeaux qui ne bougent pas assez et qui sont trop nombreux. Beaucoup d'éleveurs n’acceptent plus la vie nomade. Le transport mécanique des troupeaux, ainsi que des fourrages et de l'eau, ne fait qu'augmenter les facteurs de désertification. Désormais en partie protégée par un décret ministériel, notre vallée fait vraiment exception car on y observe une reprise de la végétation assez visible. On a beau dire que les semences des plantes protégées s'envolent généreusement vers les pâturages de tous, nos voisins bergers regardent notre vallée du haut de la montagne avec une certaine jalousie. Nous aurons donc besoin de plus de communication, de solidarité concrète et d'expériences réussies.
 

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L'état de notre troupeau s'améliore et surtout, il y a plus de stabilité humaine avec la famille de bergers qui travaille avec nous et qui se passionne pour son travail, à tel point que nous pensons acheter une vache pour couvrir la période où les chèvres n'ont pas de lait.

A Qaryatayn, l'activité agricole se développe bien et cette année, la récolte des olives a été encourageante. Nous voudrions créer un pressoir à froid pour des olives "bio" car, dans le désert, il y a moins de parasites à combattre. Nous cherchons de bonnes idées et des aides pour réaliser ce projet. Les expérimentations sur les plantes médicinales se passent bien et la production augmente. Des expériences de production de confitures maison (cuites au soleil), réalisées par les familles du village, doivent être perfectionnées pour que la commercialisation soit possible. Pour le moment, à Deir Mar Moussa, on se régale avec les confitures invendues ! Un grand travail de programmation et d'expérimentations est en cours pour la réhabilitation des vastes terres du monastère de Mar Elian. Vu le peu d'eau et la vaste surface, c'est surtout vers l'activité du pâturage rationalisé qu'il faudra s'orienter.

Ressources et relations humaines

Cet été, des amis généreux nous ont offert un minibus de douze places. Et durant la première sortie d'inauguration sur la montagne magnifique de l'Anti-Liban, il y avait :

Diane, normande, qui, après deux ans de volontariat comme ingénieur agricole, nous a rejoints en qualité de postulante,

Youssef, de Maaloula, et Daniel, de Tartous, qui sont les deux nouveaux novices syriens,

 

Dima, qui, dans un témoignage de joie touchant, a fait sa profession monastique en septembre,

Jihad, qui a été ordonné sous-diacre sur la place de son village (la joie était telle que son papa s'est retrouvé guéri d'un mal qui l'avait ennuyé toute l'année; on a donc décidé de l'ordonner diacre l'été prochain…),

 


Jens, qui a passé le mois de juillet à ouvrir, en Iran, une piste que la Communauté voudrait bien parcourir dans les années à venir,

Boutros, avec sa barbe bien longue et quelques flocons de sagesse… (cela promet !),

Houda, qui, ayant terminé sa quatrième et avant-dernière année d'étude à Rome, commence à respirer de nouveau l'air du pays,

Jacques, qui a vécu une année glorieuse à Qaryatayn,

Et Paolo, au volant de la Communauté; car la voiture, elle, est conduite par tous ceux qui ont le permis. Justement, elle a été baptisée "Diaconia", ce qui veut dire "service" ! (Le Père Paolo vient d’avoir un accident spectaculaire. Dieu merci, les problèmes ne sont que matériels et… économiques !)

 

Notre Communauté s'est appauvrie de quelques membres précieux. Khouloud a renoncé au noviciat pour le moment. En effet, elle n'a pas encore dit son dernier mot. Eglantine, volontaire du Sud-Ouest français, qui avait une présence si discrète et laïquement contemplative, a laissé un grand vide, pas seulement dans le cœur des chats ! N'ayant pas trouvé de raisons valables pour rester à Deir Mar Moussa plus longtemps, elle est retournée en France où elle travaille comme journaliste pour le groupe Le Monde. Pour tout dire, on n'a pas vraiment l'impression que la Communauté a perdu Eglantine, mais plutôt qu'elle a ouvert une succursale à Paris. Le Seigneur, dans sa providence, s'est préoccupé de nous et nous a envoyé une autre volontaire, Nathalie, marseillaise, qui a bien commencé son travail à la bibliothèque et au secrétariat. Si personne ne répond à vos e-mails, demandez son aide ! Ah, en plus du français, elle se débrouille aussi très bien en italien et pas mal en anglais, et c'est une femme de grande disponibilité. Diane aussi a été remplacée, en sa qualité d'ingénieur agronome, par un autre volontaire français, Stéphane, breton, qui montre une capacité d'adaptation rapide à l'extrême complexité de nos rêves.

 

L’équipe de nos collaborateurs laïcs locaux est désormais bien consolidée avec un staff de pères de famille bien enracinés dans leurs engagements (Amin, Marwan, Mehiar, Abou Riad, Abou Raed). Suit leur exemple tout un groupe de jeunes chrétiens et musulmans, ce qui fait du "dialogue de vie" la vie de tous les jours.

 

Notre comptable, l’autre Houda, travaille désormais à la maison car elle est au cinquième mois de sa grossesse, et monter toutes les marches qui mènent au Monastère devient difficile pour elle. Son mari, Adib, enseigne les mathématiques dans une école et prépare la publication de livres qui devraient paraître en arabe dans notre maison d’édition naissante, qu'il dirige. Ils habitent Nebek, dans une maison traditionnelle et accueillante, qui devient une étape que beaucoup apprécient. Frédéric et Stéphanie se sont installés dans la partie arabe de la Ville Sainte après s'être mariés en mai à la campagne, en France, en présence de Dima et de Paolo. Ils sont engagés profondément dans les axes spirituels abrahamiques qui fondent notre Communauté. C'est comme un cercle qui s'élargit et s'épanouit. D'autres familles se sentent très proches de nous dans différentes parties du monde. Est-ce que cela va se structurer d'une façon ou d'une autre ? Nos constitutions monastiques traitent déjà de cette relation engagée entre le Monastère et ses amis, pas nécessairement chrétiens.

 

On vient de terminer le mois ignacien des Exercices spirituels. Ils étaient quatre, les protagonistes de cette année : Daniel, le novice, Myra, l'orientaliste californienne d'origine philippine, Cilia, hollandaise, elle aussi arabisante, et Mary, écossaise, psychothérapeute très expérimentée, qui découvre avec émerveillement son désir de s'associer à notre vie. Parmi les hôtes de longue période, on ne peut pas oublier un autre Youssef, cette fois d'Alep; il était marin et les flots de la vie l'ont conduit sur notre berge. Sa présence est douce et désarmante.

 

Une autre nouveauté remarquable a été la publication en mars, chez Albin Michel, du livre de notre chère amie Guyonne de Montjou, "Mar Moussa, un monastère, un homme, un désert". Notre amitié a été couronnée par son mariage avec Anton en octobre, dans l'Eglise de Deir Mar Moussa. Le livre a été jugé touchant et intéressant par beaucoup. Est-ce que quelqu'un, parmi les lecteurs de cette lettre, aurait de bonnes idées pour le traduire en d'autres langues ?

 

L'auteur a dédié son livre au Père Jean-François Six, car tout se tient ! Le Père Six est, entre autres, le responsable de l'Union des Frères et Sœurs de Jésus, Sodalité Charles de Foucauld. Le Lundi de Pâques, Paolo était à Paris pour la réunion des coordinateurs de langues de cette association. Le Père Charles l'avait fondée personnellement et en avait écrit le directoire. Il s'agit d'une union de baptisés, tous statuts confondus, qui s'adresse à ceux qui désirent vivre le mystère de Nazareth, développer et prolonger le charisme de Charles de Foucauld dans un engagement de vie évangélique particulièrement attentif au respect et à la considération pour toute culture et pour la valeur de chaque personne. C'est ce que le Frère Charles a témoigné dans sa vie et dans sa mort en Algérie. Paolo a été désigné pour coordonner le travail de traduction en arabe du directoire du Père Charles. Il a déjà commencé ce travail avec Adib. L'importance de l'expérience du Bienheureux Charles de Foucauld pour le renouvellement évangélique et la présence de l'Eglise en milieu musulman est connue. Louis Massignon, le grand islamologue chrétien, avait repris l'Union et, marchant dans le même sillage, il avait aussi créé un groupe nommé "Badaliyah", pensé surtout pour les chrétiens en pays d'Islam. Il y a là une des sources de la spiritualité de notre Communauté.

Bâtiments, projets et activités

En ce moment, nos équipes sont engagées dans trois chantiers.

Le premier aurait dû être facile et rapide, ce qui n'a pas été le cas. Il s'agit de réhabiliter les espaces, surtout des grottes, qui étaient utilisés dans le quartier des moines comme étables pour les chèvres. Sept cellules remarquables voient le jour pour les membres de la Communauté et pour les hôtes. Au-dessus, il y aura des toilettes pour les étages supérieurs. C'était une requête insistante, répétée notamment en hiver. Ce chantier sera couronné par la construction d'un pigeonnier "comme il faut" pensé par Stéphane. La réserve naturelle autour du monastère offrira la nourriture aux pigeons qui, à leur tour, offriront une bonne nourriture aux moines et aux hôtes, selon la plus ancienne tradition du désert.

Le deuxième chantier est celui du monastère d'el-Hayek. Il dure depuis sept ans, et le fruit nous étonne tous. Même les ouvriers ont l'impression que d'autres personnes l’ont construit. Il semble avoir été là depuis toujours, encastré dans la montagne et taillé dans le rocher. Nous prévoyons de bâtir encore une quinzaine de chambres : quatre au dernier étage de l’aile sud, avec une chapelle, et les autres le long du mur d'enceinte. Ces cellules seront destinées plus aux hôtes, qui sont en retraite spirituelle ou engagés dans tout autre activité, qu'aux résidents stables. Nous cherchons des amis qui aient le désir de "se construire" une chambre ici. En comptant les toilettes et le grand réservoir d'eau final, cela fait 4000 euros par chambre. Il faut dire que nous comptons sur nos amis car ce genre de projet est difficile à financer autrement. Une fois installés l'ascenseur et le téléphérique pour les personnes âgées et handicapées, tous nos rêves de pierres seront réalisés ! D'ici 2010 ? Est-ce qu'il y a vraiment une bonne raison pour bâtir tout cela ? Nous croyons que oui. Les locaux du monastère historique deviennent en effet de plus en plus des lieux de service plutôt que de résidence. Maintenant déjà, nos activités culturelles et spirituelles attirent un nombre important de personnes et nous pensons qu’il faut les développer. Nous croyons donc avoir besoin d'espaces différents : d'un côté pour la Communauté et les hôtes les plus motivés (justement Deir el-Hayek et la maison des moines, connue sous le nom de Deir er-Ruhban), de l'autre pour les gens de passage, les touristes et les pèlerins (pour le moment, le monastère historique, et en perspective, le Centre des Visiteurs).

 

 

DeiralHayek


 

 

Cette année 2006, Deir el-Hayek a vécu cinq événements majeurs, en plus d'une fête de Noël magnifique.

Au printemps, il y a eu le séminaire des apiculteurs. Les abeilles sont considérées ici comme un peuple croyant et elles attirent des personnes ayant un goût spirituel prononcé pour la nature.

Un séminaire d'étude avec des partenaires locaux a été organisé (experts, bergers, paysans, moines et moniales), afin d’écrire un projet de lutte contre la désertification à présenter à la Banque Mondiale.

En août, malgré la guerre au Liban, nous avions le séminaire interreligieux habituel. Le titre était : "Doctrines et questions pour franchir ensemble le col vers des horizons d'espérance". Des amis, sunnites, chiites, protestants, orthodoxes et catholiques, étaient présents, dans une atmosphère d'île bénite au milieu des flots. L'angoisse et même la rage étaient pourtant là, avec un fort sentiment d'impuissance.

Quelques jours auparavant, nous avions eu la visite d'un groupe nombreux de jeunes européens et palestiniens engagés dans un séminaire interculturel. Le jour suivant, il y avait le sommet de Rome pour le Liban et nous avons passé une grande partie de la nuit à rédiger un fax pour le Président Prodi ! (www.deirmarmusa.org/page/PresidenteProdi2006-07-26eng.HTM)

En septembre, il y a eu la rencontre de Jésuites de toute provenance engagés dans les études islamiques et le dialogue. Nous avons aussi organisé une journée ouverte à tous, bien réussie. C'était la première fois qu'un groupe pouvait profiter de Deir el-Hayek pour y dormir, manger et prier, en dehors des réunions, naturellement. Cela s'est très bien passé, même si les chambres étaient encore en chantier et qu'on a dû demander aux moniales de laisser leurs places aux révérends Pères. Nos hôtes ont aussi pu apprécier la nouvelle salle de lecture de la bibliothèque, très lumineuse et accueillante.

Le dernier groupe était celui du "Chemin d'Abraham"; on en reparlera plus loin.

 

Nous voilà donc au troisième chantier. Il s'agit de la réalisation du Centre des Visiteurs en bas de la vallée du monastère. Le Ministre de l'Agriculture a déjà décrété la mise à disposition d'un vaste terrain de l'Etat. Un grand réservoir d'eau est en voie de réalisation sous la direction de notre Marwan. Il y a eu un financement des infrastructures de base de la part de l'UNDP, l'agence des Nations Unies pour le Développement. L'Etat est en train de forer un nouveau puit. Cela avance lentement, mais le puits est déjà profond. Il y a eu beaucoup de problèmes avec la foreuse car les pièces de rechange américaines ne sont pas disponibles à cause des sanctions contre la Syrie. Tout ce projet est réalisé en collaboration entre l'Etat Syrien, des partenaires locaux et notre Communauté. Nous avons largement traité du Centre des Visiteurs dans la lettre de 2005. (www.deirmarmusa.org/page/Amici2005fra.HTM)

La question du Jardin de la Réconciliation, avec l'idée de bâtir une église et une mosquée au nom d'Abraham, reste ouverte et objet de discussion. La Faculté d'architecture de l'Université privée du Qalamoun, située près de Deir Mar Moussa, est très intéressée à collaborer. On ne sait pas s'il sera possible d'organiser dès 2007 une exposition de projets architecturaux et artistiques en vue de la réalisation de ce rêve. Si cette exposition se fait, elle se fera dans le dialogue avec toutes les parties impliquées, à commencer par l'Eglise locale. On l'a répété mille fois : on ne va pas vers les Musulmans en sautant par-dessus les têtes des Chrétiens orientaux qui eux, ont su réaliser un dialogue de vie et une harmonie vraie et concrète tout au long des siècles.

Les visiteurs qui arrivent au parking du monastère trouvent, au milieu d'une plate-bande, un rocher, dressé à l'occasion du neuvième séminaire du printemps consacré à l'environnement, avec une plaque commémorative de la pose de la première pierre du Centre des Visiteurs. Pas loin de là, tout au début du sentier, se trouve la boutique du monastère créée cette année par un effort inspiré et guidé par notre Diane, avec la participation du génie artistique de plusieurs personnes. Dans le magasin, sont exposés des produits artisanaux provenant d'associations bénévoles locales, créant ainsi une occasion de relations solidaires. On y trouve aussi nos livres, des souvenirs, des produits agricoles de Deir Mar Moussa et de Qaryatayn, et bientôt des cartes postales et des posters. Il y a aussi des objets de piété qu’on essaye de choisir simples et beaux, avec des concessions au goût populaire. Les rosaires, autant chrétiens que musulmans, sont très demandés. Les icônes ne manquent pas, aussi bien sous forme de papier collé sur bois que sous forme de vraies icônes peintes, selon la tradition locale, par notre grand ami damascène Abou Charbel. Notre Elias travaille dans la boutique en permanence avec un certain enthousiasme. Vous vous rappelez, c'est celui qui avait essayé de s'envoler de la terrasse du monastère et que les anges avaient ramassé… Il reste qu'il ne peut plus travailler au soleil. Certains sont jaloux et disent : "Moi aussi, je veux tomber !"

Liée au Centre des Visiteurs, l'initiative du "Chemin d'Abraham" (www.abrahampath.org). En novembre, un groupe d'étude itinérant, avec des gens de douze nations et de différentes appartenances religieuses (les trois abrahamiques et d'autres), composé de représentants de diverses organisations et coordonné par un séminaire de l’Université de Harvard, a parcouru les étapes principales en car. Paolo y a participé depuis la Turquie, depuis Urfa et Harran, des lieux traditionnellement abrahamiques. Deir Mar Moussa a reçu le groupe avec une grande consolation spirituelle malgré de lourdes incompréhensions locales qui ont empêché les rencontres les plus qualifiées. Mais l'essentiel est fait : la voie est ouverte… C'est un sentier, pas une autoroute… En un certain sens, c'est ce qu'on voulait, car la portée de cette initiative est plus spirituelle que politique, plus eschatologique qu'historique. En Jordanie, les autorités se sont montrées très favorables et un groupe de travail s’est mis à l'œuvre pour cartographier la voie sur le modèle de celui de Compostelle, mais avec toutes les adaptations locales nécessaires. Le groupe a poursuivi sa route vers Jérusalem et Hébron (al-Khalil), bien accueilli par les représentants de toutes les communautés locales. Paolo les a quittés au bord du Jourdain pour une visite pieuse sur le lieu du baptême du Christ. Ce lieu traditionnel est très frappant avec les restes d'églises byzantines et une petite église de toute beauté, construite récemment; sur ses parois, des fresques avec les Pères et les Mères du désert, surtout palestiniens. Paolo a aussi pu visiter l'ermitage de Marie l'Egyptienne que nous comptons parmi nos fondateurs spirituels. Il n’est pas étonnant que la tradition fixe dans ce lieu le rapt du prophète Elie. Quelle concentration de symbolique spirituelle ! Cela sera un lieu de pèlerinage important pour les novices de la Communauté. Pas loin de là, il a visité le Mont Nébo où Moïse a vu la Terre Promise avant de mourir, comme le dit la Tradition, en embrassant les lèvres de l'Eternel. Là, habite un petit groupe de Franciscains archéologues qui a su recréer un lieu spirituel, artistique, biblique et même environnemental de toute beauté et ouvert à tous. Après une bonne tasse de café italien, ils se sont dit au revoir à Deir Mar Moussa.

 

A la fin de cette section de la Lettre aux Amis, on voudrait vous communiquer que la Communauté a reçu, de la Fondation Euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le Dialogue entre les Cultures et de la Fondazione Mediterraneo, le Prix pour le Dialogue entre les Cultures 2006 avec le thème "Respect mutuel entre les gens de différentes religions et de toute croyance". En novembre, Paolo est parti à Tampere pour récupérer le trophée qui lui a été remis par le Ministre des Affaires Etrangères finlandais pendant que se tenait le sommet euro-méditerranéen.

Grandes nouveautés du côté de l'Eglise !

Quand Paolo est arrivé en février au Vatican, il fut comme surpris par une atmosphère toute optimiste. Il s'est alors dit que le Père Charles de Foucauld avait fait le miracle que nous lui avions demandé au moment de sa béatification en novembre 2005. Eh bien, oui, il y avait eu la réunion plénière de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et la décision était prise : il n'y avait pas de quoi condamner dogmatiquement le refondateur de Deir Mar Moussa et les constitutions du Monastère étaient approuvées. Il y avait encore quelques corrections à y apporter mais rien d'essentiel. Notre ami le Cardinal Moussa Daoud était heureux, et même surpris, de pouvoir communiquer à Paolo toutes ces bonnes nouvelles. Paolo a tout de suite appelé la Communauté en Syrie et à Cori pour leur annoncer la nouvelle. On croyait rêver ! Quelques jours après, nous étions à Cori avec nos amis pour fêter la décision du Vatican dans "notre" très ancienne Eglise de San Salvatore qui venait de retrouver son toit. C'était l'Evangile des outres nouvelles pour le vin nouveau. Un ami jésuite de plus de 80 ans s'est exclamé : "Qu'elle est belle, l'Eglise, toujours capable de créer des outres nouvelles pour le vin nouveau de l'Esprit !"

Enfin, en octobre, la Congrégation pour les Eglises Orientales a communiqué à notre Evêque de Homs que, premièrement, nos constitutions étaient dogmatiquement correctes, et que, deuxièmement, notre forme de vie religieuse ne représente rien de proprement nouveau du point de vue strictement canonique. Ainsi, l'Evêque peut désormais approuver notre Communauté monastique bien que, pour commencer, ce ne soit que d'une façon expérimentale, telle que les canons le prévoient. Cela peut paraître un peu étrange après vingt-cinq ans d'engagement… Mais les Romains disent que la chatte pressée accoucha de chatons aveugles ! Cette dernière bonne nouvelle nous est parvenue durant l'Avent, selon notre Rite syriaque, le dimanche de la Visitation de Marie à Elisabeth; en même temps avait lieu la visite du Pape à la Mosquée Bleue d'Istanbul. Tout cela se tient ! Nous entrons donc dans une nouvelle phase profondément liée à l'évolution des relations à l'intérieur de l'Eglise locale. Nous sommes entourés par l'amitié et la solidarité de l'Evêque, des prêtres et des fidèles qui nous connaissent désormais depuis très longtemps. Nous devons certainement faire un nouvel effort pour retraduire dans la langue et la mentalité d'ici l'essentiel de ce que nous savons être notre charisme et notre vocation. Nous croyons à l'Eglise locale, c'est donc un effort qui nous est doux.

Quelques questions sur la situation politique

Diverses personnes dans la communauté posent des questions au Père Paolo pour essayer de comprendre une situation politique déroutante par sa complexité et sa dimension dramatique. Voici une tentative de donner des réponses, qui ne prétend être ni compréhensive ni exhaustive.

 

En cette fin d'année, la Syrie se trouve comme relancée, autant au niveau régional que global. Le changement de cap en Amérique, avec l'élection du Congrès, ainsi qu'en Italie, avec la chute de Berlusconi et le retour de Prodi, ont changé quelques données. Il n'empêche que notre Pays ici, la Syrie justement, se sent comme étouffé dans une contingence régionale d'extrême difficulté : Iraq, Liban, Palestine ! En plus, notre société a ses propres problèmes qu'on peut résumer avec le mot ‘‘retard’’ : économique, structurel, démocratique. Ce retard n’empêche tout de même pas une ‘‘croissance’’ remarquable : démographique, technologique, organisationnelle et même culturelle.

Le tissu national tient. En général, la confiance dans la présidence du Dr Bachar el-Assad reste forte, et pour certains secteurs de la population, elle a même augmenté avec ce qui a été perçu ici comme la victoire de l'alliance Syrie - Hezbollah dans la guerre israélo-libanaise. Ceux qui voudraient détruire, pour différentes raisons, la Syrie baathiste, arrivent affaiblis en cette fin d'année : l'administration Bush, une partie de l'administration Chirac et aussi le gouvernement israélien.

On peut donc parier sur la stabilité du Pays garantie par la volonté de presque toutes les composantes de la population syrienne d'éviter à tout prix le bain de sang d'une guerre civile. La stabilité est aussi garantie par la force réelle de l'Etat et par l'affaiblissement des volontés étrangères déstabilisatrices.

Du point de vue régional, autant pour sauver sa stabilité interne que pour développer son influence, la Syrie agit comme un facteur de sauvegarde de l'unité nationale de l'Iraq, du Liban et de la Nation palestinienne. Cela n'empêche pas notre Pays de développer ses alliances et ses stratégies dans une logique : d'opposition et de résistance à la globalisation monopolaire, de renouvellement structurel du monde arabe (modernisation), de participation au mouvement de renaissance du monde musulman et d'activation de toute alliance souhaitable, depuis l'Asie orientale jusqu'à l'Amérique Latine.

L'amitié solidaire avec l'Iran est de longue date et elle a sa racine, selon l'avis de plusieurs observateurs, autant dans la démarche d'émancipation chiite que dans le rôle révolutionnaire de l'Iran khomeiniste.

La Syrie est fière du degré d'harmonie vécue au jour le jour entre les différentes composantes religieuses de sa société. Certains disent que cela ne tient qu'à la force brutale de l'Etat. Ce n'est pas notre avis, car l'harmonie sociale interreligieuse est une constante culturelle de ce Pays et elle s'impose aux Institutions plutôt qu’elle n'en dépend. Evidemment, l'Histoire enregistre des exceptions fâcheuses et les processus d'émulsion culturelle globale font que les traditions locales ne sont plus à même de caractériser toutes seules la vie en commun. Désormais, celle-ci dépend beaucoup de la complexité des structures d'appartenance culturelle transnationale. Donc effectivement, aussi à l'aide des mass media, on risque de dépendre, sur le territoire, des sentiments, des réactions, des événements qui ont à faire avec les éléments de l'identité qui ne sont pas uniquement "arabo-syriens". Ces éléments peuvent être la langue, comme pour les Kurdes, les Arméniens, une partie des Syriaques et autres, ou l'affiliation à une "universalité" religieuse comme la sunnite, la chiite, la catholique, l'orthodoxe, etc. A cela s'ajoutent des particularités locales dans le sens proche-oriental du terme, telles que l'alaouite (notoirement liée à la famille du Président, lequel a tout de même épousé une dame sunnite de grande envergure culturelle), l’ismaélite et la druze; toutes étant historiquement liées au chiisme mais très caractérisées et autonomes.

Pour la Syrie, la priorité est donc autant l'unité nationale que la création de ressources économiques suffisantes qui puissent répondre aux besoins d’une population rapidement en croissance. Cela s’accompagne facilement d’un désir d'émancipation, d’une demande de justice, même de revanche, par rapport à une situation régionale qui est perçue ici comme caractérisée par une vraie persécution, de la part de la Nation sioniste et de son allié l'Occident, envers la Nation arabe et la Umma musulmane. Tout cela n'a pas empêché le Président d'offrir, en fin d'année, un rameau d'olivier avec une proposition de paix concrète, car la stratégie de la tension est considérée, en définitive, comme perdante.

Si la Syrie reste l'alliée du Hezbollah et du Hamas, c'est pour plusieurs raisons. Avant tout, ce sont des Arabes qui combattent l'ennemi sioniste (ils le font pour des raisons religieuses et cela ajoute énergie et vision au combat et lui apporte un large soutien populaire). Deuxièmement, ces deux mouvements représentent bien une attitude populaire et révolutionnaire qui réaliserait un rêve d'émancipation par rapport à des structures du pouvoir qui sont considérées comme l'expression du traditionalisme réactionnaire, soumis à une logique de marché néo-colonialiste, comme c'est le cas pour les monarchies et les émirats du Golfe. De plus, la Syrie récupère ainsi des cartes à jouer sur la table de la stratégie régionale. D'autres jouent sur le même échiquier (on pense à Israël et à ses alliés) en conjuguant, d’une façon bien étonnante, les leçons de morale avec la pratique du massacre de civils désarmés. Nous avons l'impression ici d'être toujours perdants, quel que soit le gagnant des élections chez les grands décideurs occidentaux ! Cela ne signifie pas du tout que la Syrie désire entrer dans un processus révolutionnaire car, au contraire, le mot d'ordre, c'est la gradualité réformiste.

Enfin, je crois que l'optimisme sera vainqueur, surtout s'il est capable de s’accompagner d’assez de souplesse pour pouvoir contourner les contradictions et les incohérences d'un corps social violemment sollicité par l'extérieur et profondément agité à l'intérieur. A mon avis, l'essentiel, c'est de ne pas céder à une logique machiavélique et immorale, que ce soit sur le plan local ou international. Notre attitude veut être celle d'une transparence constructive et mue par une idéalité qui fuit l'idéologie et les solutions préfabriquées… Nous voulons être des partenaires sincères et désintéressés. Certains utilisent la belle compréhension interreligieuse syrienne pour maquiller d'autres intérêts… Du coup, d’autres, à l'intérieur du Pays et en dehors, ne croient plus à cette belle compréhension. Nous continuons à y croire et nous voulons qu'elle se développe sans masque. La modération et la médiation ne sont pas seulement des moyens; elles configurent un style et une ascèse de vie.

 

Cette année, notre préoccupation pour le Liban a été grave. En cette fin d’année, cela va un peu mieux : il semble que personne ne veuille déclencher une guerre civile. Nos chrétiens souffrent d’une angoisse particulière car, pour les chrétiens orientaux, le Liban est un grand symbole et représente inconsciemment une sorte de chaloupe de sauvetage…

Il est impossible de trouver deux Libanais qui offrent la même analyse de la situation, qui tout de même reste très délicate. Beaucoup pensent qu’un changement constitutionnel est nécessaire.

Actuellement, les chiites sont plus importants dans le Pays qu’au moment de son indépendance. Ils demandent donc un poids correspondant. Ils estiment avoir sauvé l’honneur du Pays par la résistance contre Israël et par la victoire de l’été dernier. Les autres (les sunnites, les druzes et une large partie des chrétiens) ont surtout peur d’un Liban à l’iranienne. Ils le veulent plutôt indépendant (par rapport à la Syrie avant tout), pro-occidental et en bonne relation économique avec le Golfe arabe sunnite.

Il est vrai aussi que les chiites représentent un désir d’émancipation sociale et culturelle qui est populaire aussi chez les gens d’autres communautés d’appartenance. Il n’est pas tellement étonnant que le populiste Aoun se soit rangé de leur côté avec son désormais petit parti chrétien.

Les sentiments des Palestiniens au Liban sont probablement partagés, mais dans leur désir d’émancipation, ils ne peuvent que se ranger du côté du Hezbollah bien qu’ils n’aient pas participé à la guerre pendant l’été.

Le nombre de ceux qui pensent que la solution serait dans un cantonnement du Liban, tout en sauvegardant son unité essentielle, augmente. Il s’agirait ainsi de reconnaître le poids réel des différentes communautés et d’éviter l’éclatement de conflits civils, tout en gardant entiers les droits à l'autodétermination et à l'autonomie des communautés les plus fragilisées, comme c’est le cas des chrétiens. Mais peut-être les Libanais vont-ils nous surprendre de nouveau en inventant autre chose; et il est souvent vrai que les solutions temporaires peuvent être meilleures que des solutions définitives mais pas (encore) souhaitables ou possibles. A suivre… et à prier ! 

 

Quoi dire de nouveau sur l’Iraq ? Ce n’est pas ici le lieu pour faire une analyse développée. Je voudrais simplement attirer l’attention sur le fait que la situation a rendu la vie difficile, souvent impossible, aux chrétiens, avec l’exception du canton kurde. L’insécurité est totale, les gens se sauvent. Cela est vrai pour tous, pas seulement pour les chrétiens. Les sunnites et les chiites sont désormais en guerre les uns contre les autres. Ils ont chacun un projet et veulent chacun conquérir ou défendre un espace, mais les chrétiens sont très minoritaires partout et sans défense sur le territoire, incapables presque partout d’organiser une autodéfense sur base tribale ou communautaire. Déjà, dans les années 1990, ils avaient émigré en masse d’un pays en dérive suicidaire… Désormais leur diaspora dans le monde attire le reste. Des centaines de milliers d’Irakiens espèrent trouver en Syrie le tremplin pour une émigration définitive. Pour les chrétiens, elle est culturellement plus définitive que pour les autres. Quand on pense aux merveilleuses communautés chrétiennes de langue syriaque qui se sont développées en Mésopotamie (mais aussi en Iran, jusqu’en Afghanistan, en Inde, en Chine) avant l’Islam mais aussi en pleine époque islamique, avec une participation active, géniale à la création de la civilisation arabe, on ne peut que regretter l’incapacité coupable de l’Occident, dans ce cas surtout américaine, d’imaginer autre chose que "l'anarchie fertile" et l’invasion facile.

C’est ce cynisme occidental qui nous révolte (oui, ce n’est pas le seul cynisme au monde, mais c’est le plus puissant pour le moment). C’est ce cynisme qui fait des régimes dictatoriaux des clients (à la libyenne) pour passer tout de suite aux démocraties "eschatologiques" (à l’afghane) tout aussi soumises à la logique du profit libéral que les dictatures précédentes et pas moins corrompues. Maintenant, le fait est que cela ne marche pas aussi bien que pouvaient le rêver les "Néo-conservateurs".

J’avoue que je me suis trompé ! Je pensais que l’apparition d’al-Qaida en Irak aurait été temporaire et impuissante. C’est le contraire qui se passe. On a créé un vaste champ d’actions pour tous les extrémistes. Et l’extrémisme sunnite a été, comment dirais-je, propulsé par la stratégie américaine.

En Iraq, deux logiques apparemment inconciliables agissent. La première est celle de la guerre civile intercommunautaire. La deuxième, qui s'entremêle avec la première, est celle, encore une fois, de la guerre de résistance contre l’Occident. Elle n’est certainement pas menée par des saints non violents. Elle n’est pas non plus capable d’exprimer, en général, des projets sociaux et anthropologiques en harmonie et au pas avec la vision de la Déclaration des Droits de l’Homme ni avec les avant-gardes universalistes non violentes et interreligieuses, ni, il faut bien le dire, avec les milieux islamiques les plus ouverts et les plus critiques. Mais attention, si le mouvement n’est pas à la page avec les mots d’ordre des élites libertaires, cela ne veut pas dire qu’il ne véhicule pas d’exigences et qu'il n'exprime pas de revendications légitimes.

De toute façon, on ne peut pas s’émerveiller de noter que les masses populaires de nos régions espèrent voir bientôt un Iran nucléaire. Il est sûrement vrai qu'une certaine crainte du chiisme augmente parmi les sunnites; toutefois, la plupart d'entre eux sont rangés du côté d’une revendication considérée largement justifiée par l’attitude des plus vieilles puissances nucléaires, en particulier Israël et les USA.

 

Le bourbier palestinien reste très difficile à saisir. Coincés par Israël, qui est toujours soutenu aveuglément par ses alliés, les Palestiniens commencent à s’entre-tuer. C’est révoltant ! La logique serait celle de pousser les Palestiniens, par la violence brutale et souvent criminelle, à demander n’importe quelle paix à genoux. On ne veut pas se rendre compte que le Hamas représente culturellement l’incarnation locale palestinienne d'une revendication islamique mondiale, et au contraire, on insiste sur le lien terroriste global, justement pour nier la légitimité de la revendication de justice de tel mouvement.

Certains justement disent que sans une solution de la question palestinienne, il sera impossible de pacifier la région et de combattre efficacement le terrorisme islamiste. Il faudra d’abord que ce soit une solution juste pour espérer qu'elle soit efficace. En même temps, il faudra s’occuper d’autres questions, autant sur le rivage du vaste océan musulman qu’en son sein.

Evidemment, ce sont les musulmans eux-mêmes qui doivent travailler à leurs propres évolutions mais pas en vase clos. Il y a et il doit y avoir un espace de réflexion et de participation solidaire d’autres acteurs. Notre Communauté voudrait représenter une toute petite dimension du service de l’Eglise à une évolution de l’Islam que nous espérons heureuse pour la joie de tous. Nous croyons aussi que l’Islam dans sa complexité peut faire beaucoup pour favoriser une évolution des Eglises que nous estimons opportune et urgente. Mais cela est un thème que nous traiterons une autre fois.

Conclusion

Chers Amis,

Si vous arrivez ici en ayant lu toute la lettre, alors bravo ! Tandis que si vous êtes venus voir directement la conclusion, alors soyez également les bienvenus ! On ne va tout de même pas essayer de résumer. Simplement on va vous redire notre merci le plus cordial pour votre aide en pensées, en paroles et en actions…

Dieu éternel et final est en même temps Dieu qui advient dans notre vie, nos efforts, nos rêves, nos développements, notre amitié, notre solidarité et notre présence les uns aux autres… Dans l'Eglise, c'est la vie du Corps mystique de Jésus de Nazareth, le Sauveur; dans l'Islam, c’est l’efficacité de la solidarité invisible des croyants en l'Un, appelés à un culte de sincérité, comme frères en adoration, qui réalisent ainsi leur humanité commune. C’est avec ces sentiments que nous terminons cette lettre pour participer à la méditation du soir et à l‘office d’intercession qui suit, dans les rangs infinis et invisibles des priants.

 

 

La Communauté de al-Khalil

 

Les nouvelles de Deir Mar Elian

Chers Amis, Chères Familles,

L’année 2006 a été chargée, aux niveaux humain et environnemental, d’actions et d’émotions. Nous voulons donc vous faire partager notre joie après ces quelques jours de pluies abondantes qui ont été pour nous, qui vivons dans le désert, une bénédiction.

Le chantier archéologique

Le travail a commencé au mois de mars dans un grand espace de la cour du monastère, grâce au travail d’une équipe de la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Damas. Des poteries et d’autres objets remontant peut-être aux XIII e et XIV e siècles ont été trouvés, ainsi que plusieurs tombeaux de moines, dont nous aurons plus de détails une fois faite la datation au carbone 14.

Une partie importante de la porte de l’ancienne église de Mar Elian (VII e siècle) est actuellement restaurée au musée de Damas, où elle sera bientôt exposée. L’arbre de vie, des animaux et des fleurs sont gravés dans son bois de cèdre. Une autre partie se trouve au musée de l’Empereur Frédéric à Berlin. Nous souhaiterions que soit réalisée pour le monastère une reproduction de toute cette oeuvre d'art qui est un chef-d'oeuvre unique au monde.

La construction du nouveau monastère

Le 9 avril a été un grand jour dans le cheminement du monastère. Nous avons organisé, avec le conseil paroissial et des membres de la communauté musulmane de Qaryatayn, une fête pour la fin des travaux de la première aile du monastère, construit au nord de l’ancien site archéologique avec des pierres ramassées dans le désert et non taillées, et composé d’une salle, de deux chambres, d’une cuisine et d’une salle de bains. Selon la tradition des maisons locales, son toit est constitué de poutres en bois.

Pour l’occasion, des produits artisanaux et des instruments de travail anciens, utilisés encore récemment par les gens de la région, étaient exposés. Les invités étaient nombreux : des représentants de familles musulmanes et chrétiennes de toute la ville, qui compte 30000 habitants, le responsable de la communauté musulmane de Qaryatayn, le cheikh Assad Achebak, le prêtre de la communauté orthodoxe Barsoum Kassab, le directeur de l’Archéologie et du musée de Homs, les responsables des bureaux publics.

Sous une tente bédouine, qui est un symbole de la vie quotidienne du passé et du présent lié à l’identité des habitants, nous avons accueilli les visiteurs avec une tasse de café arabe pour leur souhaiter la bienvenue selon la tradition locale.

Dans la nouvelle salle, le père Jacques a raconté la vie de Mar Elian, l’histoire de l’ancien monastère et le rôle considérable qu’il a eu dans la région. Ensuite, il a présenté la communauté monastique de Deir Mar Moussa qui, au nom de l’Eglise, a pris en charge le projet de restaurer le monastère et de renouveler son rôle spirituel et culturel. Il a aussi expliqué que le nouveau monastère abritera des moines voués à Dieu dans la prière, la simplicité évangélique, le travail, la vie paroissiale et sociale de Qaryatayn.

Enfin, le père Jacques a parlé de la nécessité de monter des projets touristiques et économiques dans la région. Selon les informations obtenues grâce aux pièces archéologiques des sites de Mari sur l’Euphrate et de Qatna, près de Homs, la civilisation de l’oasis de Qaryatayn remonterait au troisième millénaire avant Jésus-Christ. Les nombreuses sources d’eau potable attiraient les commerces, les caravanes, les pèlerins et tous ceux qui parcouraient les anciennes routes de l’Orient. Témoins de cette présence, les caravansérails situés autour de la ville. En effet, durant leur histoire, les habitants de Qaryatayn vivaient d'agriculture, d’élevage et de relations commerciales avec les nomades et les caravaniers. Les bédouins venaient de la région d’Hawran, au Sud de la Syrie, et de la Péninsule arabique (plusieurs familles musulmanes de Qaryatayn sont originaires de ces zones). Telle était la vie des habitants jusqu’au début du XX e siècle. Avec le mandat français et la construction de chemins de fer, les voyages se sont développés, les routes ont été goudronnées et le télégraphe est arrivé, un peu plus tard le téléphone. De plus, depuis trente ans environ, le terrain s'est appauvri et la plupart des sources de Qaryatayn se sont taries; ce qui reste donne actuellement très peu d’eau. A ce problème de sécheresse, se sont ajoutées la sédentarisation de plusieurs tribus bédouines et l’augmentation forte et rapide du niveau démographique. L'activité agricole est désormais insuffisante; la pauvreté et l’émigration augmentent. Au début, l’émigration se limitait aux citadins qui partaient dans les pays du Golfe et aux personnes, surtout les plus instruites, qui s’installaient dans les grandes villes comme Damas et Homs. Au fil des années, la population chrétienne a beaucoup diminué et la plupart des jeunes (les chrétiens plus que les autres) sont partis et partent encore aujourd’hui chercher du travail.

La conclusion du père Jacques, c’est que nous voulons développer ensemble, avec conscience et amour, notre région, pour nous, nos enfants et les générations futures.

Après cette intervention, Mlle Wouroud, directrice du groupe des fouilles archéologiques, a souligné, en montrant des photos aériennes de la région, le rôle géographique de Qaryatayn dans l’histoire, l’intérêt archéologique et historique d'un tel chantier et son importance pour la population de la région. Le monastère de Mar Elian, l’un des rares situés dans le désert, est en effet le seul en Syrie à bénéficier de fouilles archéologiques. Pour finir, elle a décrit les découvertes qui ont été faites et qui montrent que le monastère était vivant du VI e siècle au XVIII e siècle.

Notre Diane, un ingénieur agronome qui aide la communauté de Deir Mar Moussa, a, elle, souligné l’importance économique et esthétique du projet agricole du monastère et le signe d’espérance qu’il représente. Elle a parlé aussi des expérimentations sur les plantes médicinales, aromatiques et fourragères.

Le dernier intervenant, M. Fadlalah, membre du conseil paroissial, enseignant à l’école technique de Qaryatayn et issu d’une famille bédouine chrétienne locale, a été dès le début engagé dans le projet agricole du monastère. Il a raconté avec force et émotion les différentes étapes de la renaissance de la zone, sa joie et son espérance; puis il a témoigné de l’importance de la plantation d’oliviers et de vignes de Qaryatayn (réputées pour leur excellente qualité). Il a aussi mentionné les autres cultures en cours : l’abricotier, l’amandier et le grenadier qui sont aussi traditionnels et adaptés à la terre de la région. Enfin, il a évoqué la pratique et la nécessité du système d’irrigation goutte à goutte.

Après une tasse de thé, une table ronde a été organisée. Le père Paolo a parlé du "Chemin d’Abraham" et de Qaryatayn qui sera une station dans ce parcours. Tous ont insisté sur l’importance de petits projets, comme la reprise de la fabrication de produits traditionnels qui entrent dans le projet touristique et économique. La journée s’est terminée par un grand repas bédouin.

L’église reconstruite

En 2004, les ingénieurs et les archéologues ont pris la décision de démonter et de déplacer, de quelques mètres, l’église de 1938 (époque de l’évêque Joseph Rabbani), en mauvaise condition statique et bâtie sur les fondations et les murs d’une église beaucoup plus ancienne et très importante archéologiquement où se trouve le tombeau de Mar Elian. Pour la reconstruction de l'église, on a récupéré les pierres blanches d’origine, bien décoratives, en remplaçant les blocs de terre par des pierres non taillées de couleur rouille. L'église reconstruite sera au service de la vie liturgique de la communauté monastique et de la vie paroissiale, tandis que la très ancienne église, aujourd’hui redécouverte et très simplement restaurée, est destinée à la méditation et aux visites des pèlerins.

Reconstruite au cours de l’année, l’église a été terminée le 9 septembre pour le jour de la fête de Mar Elian l’ermite (mort en 364). Pendant cette journée exceptionnelle, plus de 1500 personnes se sont rassemblées sous le patronage de l’Evêque du diocèse de Homs, Monseigneur Théophile Georges Kassab, qui a célébré la Messe sous une grande tente installée pour l’occasion. Après la lecture de l’Evangile et au cours d’une procession solennelle, il a consacré la nouvelle église avec l’huile sacrée, accompagné du Nonce apostolique, de la communauté monastique de Deir Mar Moussa et de prêtres. Tous sont restés émerveillés devant la beauté de l’église qui, par son architecture et ses couleurs, est en harmonie avec la région et bien enracinée dans la tradition liturgique de l’Eglise syriaque d’Antioche. Le lendemain, le père Jacques y a célébré la première messe avec la communauté de la paroisse.

 

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La nouvel église du Monastère Mar Elian

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Le tombeau du Mar (Saint) Elian


La paroisse de Mar Elian

A Mar Elian, nous avançons ensemble avec courage pour construire un projet spirituel et économique adapté à nos besoins. Mais il ne peut se réaliser qu’avec l'engagement et l'aide de nos amis partout dans le monde.

Nous voulons fabriquer des produits artisanaux et traditionnels locaux, tels que les tapis et les manteaux bédouins. Nous voudrions réaliser une presse à huile froide car la plantation d’oliviers se développe bien dans notre région. Les maladies d’oliviers y sont rares, et on peut obtenir des produits d'excellente qualité.

Notre objectif fondamental, c’est de créer un marché pour nos produits qui favorise l’économie et le développement de notre région, et qui nous permette ainsi de lutter contre la pauvreté et l’émigration. Nous avons aussi besoin de fonds nécessaires à la continuation des fouilles archéologiques.

Nous souhaitons que la vie soit encore possible dans le désert, que la sécheresse de la nature fasse jaillir dans le cœur de l’homme des sources de bonne volonté, que lorsque son regard se porte au loin dans le désert, l’homme soit poussé à construire une civilisation basée sur la foi et l’amour et plus respectueuse de la valeur de ce que Dieu a créé pour la joie et le bien de tous.

Nous avons confiance en ce que Dieu a mis sur notre chemin; nous croyons à la Providence qui s'occupe de nous à travers toutes les personnes de bonne volonté.

Nous remercions tous ceux qui nous permettent de poursuivre notre route et tous ceux qui nous ont soutenus et encouragés dans notre engagement.

 

Père Jacques Mourad


FatherJacques2006

Père Jacques avec Daniel et Youssef

French

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